Wildcat est une revue allemande qui propose un aperçu des luttes de classe dans le monde et des voies d’analyses. Voici une présentation de son dernier numéro, le n°112 paru à l’automne 2023.
Ce numéro de Wildcat a pour titre « Le retour de la grève syndicale ? ». S’il traite de divers thèmes politiques (le modèle Meloni, la rébellion chilienne de 2019, et le processus de réécriture de la constitution), ce numéro fait la part belle aux mouvements de grève qui ont émaillés le monde depuis cet été. Appelé « Hot Labour Summer », le premier article qui porte sur la situation de la classe ouvrière dans le monde s’ouvre sur cette phrase tonitruante : « Au cours des trois dernières années, le rapport de force s’est déplacé en faveur des travailleurs » (p. 14). De meilleurs salaires, un manque de force de travail, et la promise disparition des travailleurs soit-disant bientôt remplacés par des machines qui se fait encore attendre… Voici le point de départ du diagnostic, dont nous regrettons cependant qu’il manque de données et de fondement factuel. Poursuivons tout de suite notre lecture pour nous concentrer sur ce qui nous intéresse, les travailleurs en lutte. Quelques grèves victorieuses, et le doublement du nombre d’actions aux USA semblent suffire à se réjouir et constater que « le rapport de force s’est déplacé en faveur des travailleurs ».
Les auteurs soulignent qu’une des spécificités de cette vague de grève serait que des personnes entrent en lutte pour la première fois, à l’image de ce qu’il se passe à Amazon, où les grévistes ont une vingtaine d’années : des forces vives qui semblent alimenter l’optimisme des auteurs. A cela s’ajoute que d’après un sondage, la sympathie pour l’organisation collective continue à augmenter aux USA, ce qui est aussi accompagné par la création de nombreux nouveaux syndicats. L’article rappelle que le rôle des syndicats est de contenir la classe ouvrière, et qu’une fois des accords signés, revient le règne de l’« interdiction de faire la grève », l’objectif d’un syndicat étant de rester un partenaire reconnu pour des négociations. Oui, c’est bel et bien la légitimité du syndicat qui est en question lorsque la base déborde et n’est plus sous son contrôle.
L’enjeu de la phase post-COVID pour les syndicats est d’organiser la riposte face à l’inflation, pour exiger des augmentations de salaire, et effectivement, c’est ce qu’il se passe : les conventions collectives sont renégociées, avec succès souvent, et les syndicats redorent ainsi leur image de défenseurs efficaces des travailleurs.
A partir de la grève qui a eu lieu sur l’aire d’autoroute de Gräfenhausen cet été, mais aussi d’autres exemples de mouvements en Allemagne dans les transports, les auteurs soulignent enfin l’importance qui revient aux travailleurs de la logistique, insistant aussi sur la nécessaire alliance de ces mouvements avec d’autres branches, et surtout la prise en compte dans ces luttes des questions écologiques. Le travail génère une masse énorme de trajets et transports sont en dehors de cela inutiles, mais en plus impliquent de construire sans cesse de nouvelles voies de transport non sans dégâts. L’article se conclut ainsi : « Une lutte collective pour travailler moins serait la lutte la plus importante pour lutter contre la destruction de la planète ».
L’article suivant nous amène justement sur le piquet de grève de Gräfenhausen auquel sont consacrées 6 pages pleines. Magnifique pour cet incroyable melting pot de dizaines de nationalités, comprenant des chauffeurs d’Europe de l’Est, et même des Philippines. Qu’est-ce que cette grève a de remarquable ou d’exceptionnel ? Comme le rappellent les auteurs, malgré la nette dégradation des conditions de travail, la dernière grève des chauffeurs routiers en Allemagne a eu lieu en… 1983 ! Thatcher reviens !
L’article met en perspective cette grève et occupation d’aire d’autoroute avec d’autres mouvements de chauffeurs routiers dans le monde, comme au Brésil où en 2018, 300 000 routiers accompagnés de taxis et coursiers à moto avaient érigé plus de 700 barrages, suite à l’augmentation du prix de l’essence. Nous sommes en France aussi bien placés pour avoir pu constater ce que pouvait provoquer une taxe carbone sur l’essence, puisque ce fut le point de départ des Gilets jaunes.
L’article suivant est consacré au Quiet Quitting, vague de fuite de l’emploi par les travailleurs qui s’est cristallisée notamment dans le Tangpinisme (mouvement de refus du travail disposant aussi d’un Manifeste). L’article pointe les limites du tangpinisme en particulier l’impasse que constitue l’action individuelle de la fuite du travail, rendant de fait impossible l’organisation collective. Nous pourrions ajouter qu’une analyse de classe risquerait de révéler que ce mouvement est réservé à une élite ouvrière. Mais nous pouvons tout de même nous interroger : ne faudrait-il pas saisir ce mouvement de refus de l’identité ouvrière, de cette négation de la classe en acte, en y insufflant une brise de collectif ?
Les articles suivants portent successivement sur la grève dans le secteur ferroviaire qui a eu lieu en Allemagne cet été, puis sur la grève dans le secteur automobile aux USA, soulignant bien entendu qu’il ne faut pas faire confiance à l’UAW, ce que ses manigances nous ont bien montré. S’ensuit l’interview d’un travailleur du port de Hambourg qui témoigne notamment de l’évolution du travail provoquée par l’automatisation ; puis l’interview d’un syndicaliste de ver.di concernant les méthodes de lutte. Le numéro se termine par un dossier consacré aux luttes contre l’« intelligence capitaliste », qui a l’avantage en allemand d’avoir les mêmes initiales que Intelligence Artificielle. Travailleurs du clic, et autres travailleurs effectuant de nouveaux types d’activités rémunérées viennent illustrer l’évolution du travail salarié dans le monde. Ce qui amène enfin au dernier article du numéro consacré à la première grève qui a eu lieu contre l’IA : celle des acteurs et scénaristes aux USA (qui n’ont d’ailleurs pas eu gain de cause sur ce point).
I. J.