
Le Bulletin international est un site animé par un groupe d’irréductibles internationalistes. Nous estimons nécessaire de recueillir et de rassembler les informations sur les luttes qui ont lieu entre travailleuses, travailleurs et ceux qui donnent les ordres et décident de l’intensité, de la durée et des conditions de travail. Autrement dit, avoir un aperçu le plus complet possible de l’état dans lequel se trouve le rapport de force entre force de travail et capital.
Pour établir notre sélection nous nous demandons: quelles sont les grèves qui ont lieu maintenant dans le monde? Quelles sont les revendications des grévistes? Quel rôle jouent les syndicats dans cette action? Cette lutte est-elle porteuse d’une perspective internationaliste, anti-capitaliste, animée par une base qui déborderait une centrale syndicale qui ne serait pas en mesure de défendre les intérêts de celles et ceux qui sont concerné·es?
Être une caisse de résonance pour ces luttes et nous former concrètement pour dépasser nos particularismes nationaux, voici ce qui nous semble manquer dans nos informations. Parce que l’internationalisme est plus qu’un principe, en voici l’une des illustrations.
Informer sur les luttes de classe, pourquoi?
Sans pour autant ériger la lutte de classe en alpha et omega, autrement dit, estimer que le rapport de force entre capital et travail serait le seul à mériter d’être documenté, force est de constater que nous trouvons peu d’informations relayées sur les grèves actuelles par les médias publics en France, mais ce qui est plus surprenant, non plus par les médias qui se présentent comme étant de gauche. Leurs rubriques « International » sont déconcertantes sur ce point. Les groupes marxistes et libertaires font mieux ce travail de documentation et de relai, mais en s’adressant alors à des cercles très restreints, en posant aussi comme prérequis un cadre d’analyse qui constitue alors une barrière ou suscite la méfiance sur la fiabilité des informations.
En revanche, ce qui est bien documenté dans les médias publics et ceux se présentant comme de gauche, ce sont les « mouvements sociaux » qui naissent en réponse à des offensives législatives, ou des changements brutaux de gouvernements, ou encore à des évènements dramatiques et spectaculaires témoignant des tensions sociales qui traversent les sociétés. Il ne s’agit pas non plus d’affirmer qu’ils sont moins importants.
En général, lorsque les mouvements sociaux sont relayés, s’ils portent sur les conditions de travail et la rémunération, ils prennent la forme de mobilisations à l’échelle nationale, interprofessionnelles et appelées par des centrales syndicales. Ainsi, seules les « grandes luttes » qui mobilisent largement parviennent jusqu’à nous, mais même celles-ci sont assez peu visibles en fin de compte, et bien peu lisibles: on ne sait pas précisément qui y participe, ni comment cela s’articule avec les conflits qui émergent par ailleurs concernant les conditions de travail, de rémunération, etc. dans les entreprises, ou encore quelles répercussions cela peut avoir.
Les actions interprofessionnelles sont caractérisées par des revendications souvent très générales, et elles ne font jamais, ou en façade seulement, preuve d’audace à défendre des travailleurs et travailleuses dans leurs luttes particulières déjà existantes: elles ne font pas la démonstration de force qui serait nécessaire. On constate au mieux parfois des greffes. Si ce jugement peut paraître sévère, il est pondéré par de nombreuses actions qui témoignent d’une capacité de certains syndicats à contribuer aux luttes particulières et isolées, notamment par un travail de terrain – il est là le minimum syndical – et la participation, plus délicates, à des intersyndicales efficaces. Ces travers du syndicalisme ne sont pas une particularité nationale, ni non plus les méthodes qu’utilisent les directions d’entreprises pour être optimales à presser le jus de l’orange que nous sommes.
Si nous reconnaissons être réduit·es dans notre vie pour les mêmes raisons, ou par des personnes remplissant des fonctions économiques semblables, nous constituons alors une communauté. C’est exactement pour cette raison que concentrer notre attention sur les luttes dans le monde par-delà les grandes démonstrations de force des syndicats, c’est aussi ne pas laisser isolé·es celles et ceux qui luttent à la base, à contre-courant des directions syndicales, bien trop souvent prêtes à brader la peau des ouvriers pour rester des « interlocuteurs respectables » dans les négociations. Stratégie qui se comprend, mais stratégie délétère.
Si le droit de se syndiquer et de lutter par ce moyen est un privilège, cela n’empêche pas de le considérer comme un frein à la mobilisation des travailleuses et des travailleurs dans les pays où cela se présente comme un moyen approprié et légitime. Bien souvent, les syndicats entrent dans des règles du jeu qui sont biaisées, lorsqu’ils ont comme interlocuteur l’État, par des commissions, des états généraux, des Grenelles et autres cycles de discussion. C’est pourquoi nous soutenons, dans ses formes aussi diverses qu’inattendues, l’auto-organisation à la base, fondée sur la prise en compte collective des besoins et des moyens à disposition pour y répondre, et sur l’impossibilité de faire autrement que confiance à la puissance du collectif. Cette approche est indissociable d’une méfiance vis-à-vis des syndicats, et des partis socio-démocrates qui ont la fâcheuse tendance à domestiquer nos luttes pour leur donner des formes acceptables pour l’ordre bourgeois, autrement dit, être des vaincu·es convaincus d’être vainqueurs.
L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes. … Et l’émancipation des travailleuses de même…
De cette manière, nous voyons en quoi la lutte n’appartient pas au passé. On ne peut pas vivre décemment à l’ère de la circulation instantanée de l’information sans nous donner les moyens de savoir comment les travailleuses et travailleurs aujourd’hui vivent et se défendent. Le mouvement néolibéral dans lequel nous sommes pris depuis quelques décennies en France nous donne l’impression que la page de la lutte est tournée, que ce que nous avons nous est dû, mais surtout bientôt sûrement, perdu. Nous sommes alors porté·es à croire que ce n’est pas une histoire de bagarre qui n’est toujours pas finie, une bagarre avec ceux qui disposent de nous, de notre vie, de notre temps, de notre force de travail et qui ne connaissent d’autres limites que celles que nous posons, collectivement, avec courage et détermination. Une bagarre parfois feutrée, d’autres fois violente, quoiqu’il ne s’agisse pas ici de faire l’apologie de méthodes plus viriles que d’autres de s’engager dans la lutte, même si les mots peuvent porter à confusion.
C’est pour toutes ces raisons que nous relatons sur ce site quasi-exclusivement les grèves, les immobilisations décidées collectivement de travailleuses et travailleurs. La grève est un outil assez efficace pour que tout bon gouvernement bourgeois l’ait limité ou en ait limité les effets1. Mais on ne doit pas oublier qu’il y a grève et grève, qu’elles sont multiples dans leur forme, leur nature, leurs objectifs, leur durée, leur composition sociale, les risques encourus, les secteurs concernés et le rôle qu’y jouent les syndicats et les militant·es, c’est pourquoi nous avons essayer de préciser de quoi on parle dans cet article.
Nous le répétons, le syndicat, l’histoire aussi vieille que récente en témoigne, ce n’est pas une garantie de défense des droits des exploité·es. Si dans la plupart des cas, se syndiquer, c’est s’exposer et prendre des risques, parce que c’est rendre public un engagement (même si ce n’est pas toujours présenté ni incarné ainsi) pour d’autres que soi. On sait bien que certains syndicats et syndiqué·es fonctionnent uniquement dans un rapport de service, ce qui détruit tout simplement la notion de syndiqué·e, qui, selon notre définition, consiste a minima à s’engager et prendre des risques pour une autre personne que soi.
Les rapports de force sur les lieux de travail et la manière dont ils se déroulent selon les pays méritent donc toute notre attention. Ils sont essentiels pour comprendre les conditions de vie, de travail et de lutte de nos contemporain·es, mais aussi les méthodes des patrons: parfois différentes, parfois semblables. Elles ne nous ont pas attendus les directions d’entreprises pour internationaliser leurs pratiques de management, et pour se servir de l’appareil d’État pour défendre leurs intérêts.
Aujourd’hui, la plupart des lois sont des outils que seul·es des spécialistes maitrisent, et ces derniers, comme les avocat·es, peuvent nous soutenir, heureusement, mais dans l’ensemble, les lois ne sont rien d’autre que des dispositifs inscrits dans des rapports de force. Sans défendre comme programme politique la prise de l’État, il est certain que la bourgeoisie a investi un outil puissant qui lui préexistait, l’État, pour forger des outils efficaces de gestion par la répression à court et long terme (police, justice), en utilisant la peur et les armes pour garder le dessus dans le rapport de forces.
Alors qu’attendons-nous? Nous n’avons pas besoin de diplôme de management pour faire déménager les managers, nous n’avons pas besoin de pseudo-formation en psychologie pour connaitre les besoins qu’a une personne pour ne pas être broyée par le travail, ni pour connaitre les stratégies à utiliser pour créer la cohésion d’équipe: nous avons besoin de nous réunir, d’essayer de faire face, de tenir ensemble, de nous éprouver dans le rapport de forces, de formuler des revendications collectivement, de nous décevoir, de nous impressionner, de nous découvrir, mais nous avons aussi besoin de nous savoir faire partie d’une communauté de condition de vie, de lutte. En plus d’être fort·es de cela, nous devons être fort·es des savoir-faire que nous accumulons, mais pour cela, il nous faudrait au moins pouvoir et vouloir les partager. Cela nécessite in fine de considérer ce savoir-faire comme notre trésor.
Les expériences de lutte sont notre richesse
On pourrait se dire: elles sont très différentes, les conditions de travail, et donc de lutte pour les améliorer, selon chaque branche, et puis dans chaque branche, selon chaque secteur, et ensuite selon chaque problématique, mais aussi selon la manière dont les individus sont touchés par celle-ci. On pourrait presque penser que sortir de sa branche, de la particularité de son lieu de travail, et de ce qu’on ne veut plus y subir, n’apporte pas beaucoup. On peut se dire la même chose de son propre pays, parce que le droit du travail évolue très rapidement, qu’il est bien souvent dans les faits, en voie de disparition, ou bien bafoué en permanence.
Même si les situations sont « particulières », avec des particularités locales, nous sommes persuadé·es qu’il existe trop d’invariants, de similitudes pour les ignorer. Nos conditions sont communes, nos modalités sont communes, nos problématiques sont communes; nos manières de nous défendre et de nous faire trahir, mais aussi d’arracher des victoires, toutes ces pratiques, nous sont communes.Tout cela, nous l’avons déjà en commun, nous éprouvons les mêmes sentiments, les mêmes difficultés, pas toujours les mêmes objectifs cependant, mais ils sont tous avec certitude appauvris de ne pas être partagés, constitués ici et maintenant en histoire et culture commune, parce que toutes nos expériences, seulement si elles sont réunies, constituent notre véritable richesse.
Nous regrettons, oui, mais notre situation le requiert, de devoir vous faire subir la lecture d’un texte si long pour expliquer pourquoi il est nécessaire de s’intéresser sérieusement à comment et pour quoi des travailleuses et travailleurs luttent aujourd’hui. Il y a 110 ans, ce texte n’aurait pas eu besoin d’être écrit, l’internationalisme prolétarien avant la Première Guerre mondiale avait encore le sens d’une communauté rassemblant des camarades par delà les nations. S’il n’a pas survécu, ou seulement dans des ilots isolés, c’est aussi parce qu’il a subi l’épreuve de la répression brutale. N’y cédons pas. Cet internationalisme peut vivre et doit vivre malgré le stigmate qu’il porte des capitalismes d’État bureaucratiques et qui ont dévoyé l’internationalisme par un soutien aux nationalismes s’exprimant dans les nations issues des indépendances.
Enfin, nous nous revendiquons révolutionnaires au sens où nous estimons que c’est l’ensemble des rapports sociaux capitalistes qui est à bouleverser radicalement pour voir disparaître l’exploitation, la domination et les classes sociales.
Nous nous inscrivons tout de même dans une certaine continuité de lecture, d’analyse et de pratiques qui ont émergé au cours de l’histoire du mouvement ouvrier, nous vous invitons à consulter pour vous en faire une idée plus précise notre Bibliothèque (en cours de construction) que vous pouvez retrouver dans les Ressources. Nous ne tenons pas dogmatiquement à ces grilles d’analyses, c’est bien parce qu’elles sont toujours aussi pertinentes, et à réactualiser parfois, que nous les proposons. Il s’agit aussi de ne pas nous laisser submerger par l’avalanche quotidienne d’événements et de drames qu’est la lutte de classe, et le salariat en général, pour garder des perspectives d’analyses par cycles plus longs, plus généraux, et d’alimenter nos réflexions à partir de ce matériau concret.
Ce que nous ne relayons pas: les luttes des policiers, des matons et de ceux que nous estimons avoir clairement choisi leur camp dans la lutte de classe.
Note: nous relayons des articles de différentes organisations politiques, cela ne signifie d’aucune manière que nous partageons leur ligne politique, stratégique ou encore leurs analyses. Nous sommes en contact avec différentes organisations et personnes qui sont en lutte afin d’être au plus proche de ce qui se passe.
…tandis que la bourgeoisie de chaque nation conserve encore des intérêts nationaux particuliers, la grande industrie a créé une classe qui, dans toutes les nations, a le même intérêt et chez laquelle la nationalité se trouve déjà détruite ; une classe qui s’est réellement débarrassée de tout le vieux monde et s’oppose en même temps à ce monde. Elle rend insupportable au travailleur non seulement le rapport au capitaliste, mais le travail lui-même
L’Idéologie allemande, MEW, t. 3, p. 60 ; Œuvres I, p. 1103 sq.
1 Attention au syllogisme ici: tout ce qui est interdit n’est forcément pas nocif aux intérêts de la bourgeoisie portés par les gouvernements, ou bien encore au capital en général (qui impose comme finalité à toutes et tous la valorisation de la valeur). Les entraves posées à la circulation et/ou à l’existence de certaines personnes ou certaines marchandises sont générées par des rapports sociaux et historiques qui ont leur logique propre, ils ont leurs contradictions propres. On peut seulement être assuré·es que la grève est une modalité d’action qui a assez d’avantages pour celles et ceux qui l’utilisent pour être perçue par les directions d’entreprises comme un mode d’action auquel il faut limiter l’accès aux travailleuses et travailleurs et les impacts sur la production ou les prestataires de service.