Une « ferveur socialiste »: les accords entre les trois grands et l’UAW et la lutte de classe dans le monde

Par Will Lehman.

Cette déclaration a été publiée à l’origine dans Newsweek.

Lehman travaille chez Mack Trucks à Macungie, en Pennsylvanie. Il s’est présenté à la présidence de l’UAW en 2022 et a obtenu près de 5 000 voix. Il poursuit actuellement le ministère américain du travail en vue d’obtenir un nouveau scrutin après avoir constaté la suppression d’électeurs lors de ce scrutin.

Les accords de principe conclus entre les United Auto Workers et Ford, Stellantis et General Motors sont de partout salués dans les médias, par l’UAW et par l’administration Biden comme des contrats « historiques », « records », qui rétablissent les concessions qui avaient été faites auparavant.

Dans une déclaration du 30 octobre, M. Biden a déclaré : « Avec cet accord historique avec GM, l’UAW est parvenu à des accords de principe historiques avec l’ensemble des trois grands constructeurs automobiles américains. Cet accord de principe historique récompense les travailleurs de l’automobile qui ont fait tant de sacrifices en leur accordant des augmentations records, davantage de congés payés, une plus grande sécurité en matière de retraite, ainsi que davantage de droits et de respect au travail ».

Mais tout examen sérieux des termes des contrats révèle qu’ils constituent la poursuite de la guerre de classe menée par les entreprises contre les travailleurs.

Ces accords constitueront la première salve d’attaques contre les emplois dans le cadre de la transition vers les véhicules électriques. La proposition de Stellantis prévoit la fermeture de 19 usines, et l’accord de Ford catégorise tous les employés de l’énorme complexe de Rouge, dans le Michigan, comme « excédentaires » après le 1er décembre.

Les contrats n’augmentent le salaire de base que de 25 % sur quatre ans et demi, une augmentation qui ne compense pas la baisse massive de la valeur des salaires des travailleurs au cours des dernières décennies. L’inflation a augmenté de plus de 40 % depuis la restructuration de l’industrie automobile en 2009, ce qui signifie que les travailleurs de l’automobile gagneront toujours moins en 2028, en termes réels, qu’il y a 20 ans.

Entre-temps, les augmentations accordées au titre de l’ajustement au coût de la vie (COLA), qui ont été salués saluées par l’UAW, ne compenseront qu’une petite partie de l’augmentation inexorable des prix à la consommation. L’UAW estime que l’augmentation de l’ajustement au coût de la vie de l’année prochaine ne sera que de 0,45 dollar de l’heure. Cela représente une augmentation de moins de 5 dollars par jour, ou moins de 1 000 dollars par an, qui sera complètement dépassée par l’augmentation du coût de l’essence, des œufs, du lait, des factures d’Internet et de téléphone, et d’autres produits de première nécessité, sans parler du loyer ou de l’hypothèque et des échéances pour la voiture.

Le président de l’UAW, Shawn Fain, a également affirmé que les accords mettraient fin au phénomène du « perma-temps », dans lequel les travailleurs temporaires sont maintenus indéfiniment dans un statut inférieur et mal rémunéré. L’affirmation de M. Fain selon laquelle « tous les intérimaires seront convertis en emplois à temps plein » au bout de 90 jours est un mensonge cynique. Les contrats conclus avec GM et Stellantis excluent les milliers d’intérimaires à temps partiel de cette disposition.

Dès le début, les « grèves debout » de l’UAW ont été une mascarade. Seules quelques usines de chaque société ont été mises en grève, tandis que la majorité des travailleurs ont reçu l’ordre de rester au travail sans contrat. Les entreprises ont été autorisées à poursuivre leur production pratiquement sans entrave, pouvant même constater l’augmentation de leurs stocks à la fin des grèves. En violation totale des droits démocratiques des travailleurs, l’UAW a mis fin à ces grèves limitées avant même que les travailleurs de l’automobile n’aient pris connaissance des contrats.

Les dirigeants de l’industrie automobile ont clairement indiqué qu’ils se félicitaient de ces accords et qu’ils comptaient compenser toute augmentation modeste des coûts salariaux en augmentant l' »efficacité » et en trouvant d’autres sources d’économies, comme l’a déclaré le directeur financier de Ford lors d’une conférence téléphonique avec les investisseurs le mois dernier.

Qu’en pense Wall Street ? Quelques jours seulement après l’annonce de l’accord UAW-Ford, S&P Global a relevé la note des obligations de l’entreprise de « junk » à « investment grade » pour la première fois depuis 2020. L’agence de notation a déclaré qu’elle s’attendait à ce que Ford augmente ses bénéfices « avec un coussin adéquat en 2024 et 2025, compte tenu de la forte dynamique de sa franchise de véhicules commerciaux et de la réduction progressive des coûts ».

La société d’investissement Barclays a estimé que l’accord UAW-Ford coûtera à l’entreprise environ 1 à 2 milliards de dollars par an, ce que Ford prévoit de compenser par des accélérations et des réductions de coûts. Malgré cela, le coût de l’accord équivaut à 1 % du chiffre d’affaires annuel, ou à 10 % des 10 milliards de dollars de bénéfices de Ford en 2022. Cela peut sembler une « part équitable » pour M. Biden, mais toute cette richesse est produite par le travail des ouvriers.

Les principales préoccupations de la Maison Blanche et des dirigeants de l’UAW ont été de contenir les grèves des travailleurs de l’automobile dans des limites soigneusement définies et de garantir la « compétitivité » des entreprises lors de la transition vers les VE.

Fain et Biden craignent également qu’un mouvement de grève croissant ne compromette les projets de Washington d’intensifier et de financer massivement ses guerres. Pendant la grève, Biden, Fain et le président de Ford ont tous fait l’éloge de la transformation des usines automobiles en production militaire pendant la Seconde Guerre mondiale.

Parallèlement aux grèves des Big Threes, des manifestations contre la guerre ont éclaté dans le monde entier pour protester contre la guerre d’Israël contre Gaza, qui est menée dans un but génocidaire. Dans une déclaration faite la semaine dernière, j’ai demandé à l’UAW de cesser la production dans toutes les usines qui fabriquent des équipements et des munitions pour Israël, et que tous les travailleurs mis à pied reçoivent l’intégralité de leurs salaires. J’ai agi de la sorte parce que la guerre contre les opprimés de Gaza n’est qu’une partie d’une guerre sur plusieurs fronts contre la classe ouvrière du monde entier.

L’élite dirigeante est terrifiée par la radicalisation de la classe ouvrière, qui est motivée par la société largement inégale et injuste qu’elle supervise. Le mois dernier, un article paru dans Freight Waves, une publication de l’industrie du transport, déplorait une « ferveur socialiste » grandissante parmi les travailleurs de Mack Trucks, où je travaille. L’article soulignait ma critique de l’accord de concession de l’UAW – que M. Fain a approuvé – et le rôle du Mack Workers Rank-and-File Committee, qui a organisé les travailleurs pour qu’ils rejettent l’accord de l’UAW à 73 %.

Le président de l’UAW, M. Fain, pense peut-être avoir réglé le problème en mettant fin aux grèves des Trois grands. Mais les contrats de l’UAW ne feront qu’intensifier les inégalités et alimenter la rébellion des travailleurs de la base.

Article traduit à partir du site WSWS.