La grève des opérateurs canadiens paralyse le transport maritime dans la Voie maritime du Saint-Laurent
Par Carl Bronski
Quelque 360 ingénieurs, opérateurs, travailleurs d’entretien, superviseurs et personnel administratif ont débrayé tôt dimanche matin, interrompant la navigation dans la Voie maritime du Saint-Laurent.
Organisés en cinq sections syndicales distinctes, ces travailleurs hautement qualifiés, membres d’Unifor, réclament une augmentation de salaire significative afin de se prémunir contre l’érosion passée et présente des salaires due à l’inflation. Quelques heures après le lancement de la grève, les organisations professionnelles ont réclamé au gouvernement libéral de M. Trudeau une législation brise-grève, qui a criminalisé la grève de 7 200 dockers de Colombie-Britannique l’été dernier.
Pour la direction de la Voie maritime, la protection des salaires contre l’inflation était tout simplement un pont trop loin. Il y avait, se plaignent-ils avec arrogance, « 1 000 milles nautiques » entre leurs propositions et les revendications des travailleurs.
Les travailleurs supervisent l’exploitation d’un vaste système de canaux, d’écluses et de ponts entre Montréal et Niagara, qui permet le transit des cargos en eau profonde sur la voie navigable des Grands Lacs et du Saint-Laurent, de l’extrémité ouest du lac Supérieur jusqu’aux ports du Québec, puis au-delà. L’année dernière, près de 17 milliards de dollars de denrées alimentaires, de minéraux et de matériaux – dont près de la moitié de céréales et de minerai de fer – ont transité par le système de la voie maritime.
Sans contrat depuis le mois de mars, les travailleurs ont rejeté un accord de principe qui leur avait été présenté par Unifor à la fin du mois de juillet. Reflétant le fossé grandissant entre les travailleurs de base et la bureaucratie d’Unifor, l’accord était l’un des trois contrats rejetés par les membres d’Unifor dans tous les secteurs en l’espace de seulement deux semaines au milieu de l’été. Dans la région du Grand Toronto, 3 700 travailleurs de l’épicerie se sont mis en grève après avoir rejeté catégoriquement une offre misérable qui avait été présentée par le syndicat comme le « meilleur accord depuis des décennies ». À Windsor, en Ontario, 250 mineurs de sel en grève depuis février ont tenu bon et rejeté une offre de contrat inférieure, également recommandée par le syndicat.
La révolte des travailleurs de la voie maritime fait suite à une lutte acharnée menée par plus de 7 200 dockers dans les ports de la Colombie-Britannique tout au long du mois de juillet. Les travailleurs, membres de l’International Longshore Warehouse Union (ILWU), ont mené une grève courageuse de 13 jours face aux menaces du gouvernement de criminaliser leur action professionnelle. Après que le ministre du travail, Seamus O’Regan, a tenté de dicter les termes d’un accord, l’opposition des travailleurs de base a été si forte que les délégués de l’ILWU ont été contraints de le rejeter. Les dirigeants de l’ILWU ont finalement réussi à faire passer un contrat de vente en collusion avec le gouvernement libéral et les patrons des ports, tout en menaçant de légiférer pour interdire les grèves à l’avenir. À la suite de la ratification du contrat, le gouvernement Trudeau a ouvert une enquête sur le conflit en vertu du Code canadien du travail, O’Regan déclarant que son objectif était de créer des « relations de travail harmonieuses » afin d’éviter toute perturbation des opérations des ports de la côte ouest lors de futurs conflits contractuels.
Lorsque les négociations avec les travailleurs de la Voie maritime se sont trouvées dans l’impasse en septembre, les travailleurs ont accru leur pression sur Unifor pour qu’il se dirige vers une grève totale. La semaine dernière, ils ont voté à 99 % en faveur de la grève. Dans un communiqué publié le week-end dernier, Unifor a dû admettre que l’autorisation à contrecœur de l’avis de grève de 72 heures, jeudi, était une « décision drastique » prise en raison de « la profondeur du mécontentement [des membres] et de l’impératif d’une résolution rapide des différends en cours ».
Ce conflit s’annonce d’ores et déjà comme une bataille majeure dans la lutte menée depuis des générations par la classe ouvrière pour défendre son droit de grève démocratique.
Dans les heures qui ont suivi le début de la grève, la Corporation de gestion de la Voie maritime du Saint-Laurent, ostensiblement » sans but lucratif « , a demandé au Conseil canadien des relations industrielles d’appliquer les dispositions du Code canadien du travail, hostile aux travailleurs, qui exigent que les expéditions de céréales se poursuivent pendant une grève. Le CCRI a joué un rôle central dans l’imposition du contrat imposé par le gouvernement aux travailleurs portuaires de la Colombie-Britannique l’été dernier.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) et la Chambre de commerce du Canada n’ont pas tardé à exiger du gouvernement fédéral qu’il veille à ce que la Voie maritime reste pleinement opérationnelle. Ces deux organisations ont toujours été à l’avant-garde des appels en faveur d’une législation de retour au travail, chaque fois que des travailleurs en position de force sur le plan économique déclenchent un mouvement de grève.
Comme on l’a vu lors des grèves acharnées des travailleurs portuaires à Montréal et, plus tôt cette année, en Colombie-Britannique, et des travailleurs ferroviaires de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, la FCEI et la Chambre de commerce agissent comme des « hommes de paille » pour toute une série d’intérêts de grandes entreprises. La FCEI fait maintenant campagne pour restreindre davantage le pouvoir de négociation des travailleurs sous réglementation fédérale du secteur de la chaîne d’approvisionnement en demandant au gouvernement de les désigner comme des travailleurs « essentiels » et de les priver ainsi définitivement du droit de grève.
Le droit de grève fait l’objet d’attaques systématiques au Canada depuis des décennies. À des dizaines d’occasions, les gouvernements fédéraux et provinciaux de toutes tendances politiques, y compris le Nouveau Parti Démocratique, ont imposé des lois de retour au travail et criminalisé l’action professionnelle des travailleurs.
Le parti libéral des grandes entreprises préfère conserver son vernis démocratique, tout en poursuivant son programme réactionnaire de guerre de classe d’aventures militaires à l’étranger et d’austérité à l’intérieur du pays, en utilisant ses partenaires juniors dans les syndicats corporatistes pour supprimer l’opposition de plus en plus explosive des travailleurs à la pire crise du coût de la vie depuis des décennies.