Grève des femmes en Islande: pénurie de saucisses et babysitting au travail

Ce mardi 24 octobre a lieu la grève des femmes en Islande. Commémorant la grève des femmes ayant eu lieu en 1974 et initiant le vote d’une loi l’année suivante, « garantissant l’égalité des droits pour les femmes et les hommes ».

Par la rédaction du Bulletin international

La grève des femmes en Islande en 1974: analyse de cas (par Max Rennebohm)

Voici la traduction de la principale source de wikipedia sur l’événement:

En 1975, de nombreuses organisations se consacraient à la réalisation des pleins droits des femmes en Islande, s’appuyant sur l’histoire des mouvements féminins antérieurs qui traitaient des questions du suffrage, de l’indépendance nationale et de l’égalité des droits. Ces mouvements s’étaient essoufflés depuis les années 1920, lorsque des groupes de femmes avaient constitué des listes de femmes pour les élections au parlement et aux administrations municipales.

En 1975, les Nations unies ont proclamé l’Année internationale de la femme. À cette occasion, un groupe de représentantes de cinq grandes organisations de défense des droits de la femme, dont le Mouvement de libération des femmes (Redstockings), s’est réuni pour planifier les événements de l’année. L’une d’entre elles était un « jour de congé » pour les femmes, afin de montrer l’importance des femmes pour le bien-être économique et social de l’Islande.

En Islande, les femmes qui travaillaient en dehors du foyer gagnaient moins de 60 % du salaire des hommes. En outre, les femmes étaient souvent incapables de trouver un emploi parce qu’elles s’occupaient de la plupart, voire de la totalité, des tâches ménagères et de l’éducation des enfants. L’objectif de la grève était de protester contre les disparités salariales et les pratiques d’emploi déloyales en démontrant le rôle crucial des femmes dans la société islandaise.

Les femmes ne devaient pas se rendre au travail si elles avaient un emploi rémunéré, ni effectuer les tâches ménagères ou s’occuper des enfants comme elles le faisaient habituellement. Les organisations de femmes ont rapidement fait connaître ce « jour de congé » dans ce petit pays de 220 000 habitants. Les employeurs se sont préparés à la présence d’un grand nombre d’enfants qui devraient venir travailler avec leurs pères. La grève est prévue pour le 24 octobre 1975.

Le jour venu, 90 % des femmes islandaises y ont participé. Il n’y avait pas de service téléphonique. Les journaux n’ont pas été imprimés parce que tous les compositeurs étaient des femmes. Les théâtres ont fermé leurs portes parce que les actrices refusaient de travailler. Les écoles ont fermé, ou ont fonctionné à capacité limitée, parce que la majorité des enseignants étaient des femmes. Des vols de compagnies aériennes ont été annulés parce que les hôtesses de l’air ne travaillaient pas ce jour-là. Des cadres de banque ont dû travailler comme caissiers pour garder les banques ouvertes parce que les caissières avaient pris leur jour de congé.

Pendant ce temps, les hommes devaient emmener leurs enfants au travail et leur donner à manger parce que les crèches étaient fermées et que les femmes ne faisaient aucun des travaux qu’elles effectuaient normalement à la maison.

Une réunion de masse était prévue dans le centre de Reykjavik, la capitale de l’Islande, à laquelle 25 000 femmes ont participé. Les femmes ont créé d’énormes embouteillages en se rendant à la réunion où les orateurs ont parlé de l’inégalité des femmes dans la société islandaise et de la nécessité d’une perspective féminine dans la politique nationale.

La grève a duré jusqu’à minuit cette nuit-là, lorsque les dactylographes sont retournés travailler sur les journaux du lendemain. Ces journaux ne contenaient rien d’autre que des articles sur la grève des femmes.

L’année suivante, le parlement islandais a adopté une loi garantissant l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Bien que cette loi de 1976 n’a guère provoqué de changement sur l’inégalité des salaires et les disparités en matière d’emploi des femmes, elle a constitué un grand pas politique vers une véritable égalité. Les grévistes ont clairement atteint leur objectif et démontré l’importance indéniable des femmes et de leur travail en Islande. La grève a également ouvert la voie à l’élection, cinq ans plus tard, de la première femme présidente démocratiquement élue en Islande et dans le monde.

L’inégalité entre les sexes est toujours un problème en Islande et tous les dix ans, à l’occasion de l’anniversaire de cette première grève, les femmes cessent toute activité professionnelle afin de démontrer l’importance de leur position et de poursuivre la lutte pour l’égalité.

Article à retrouver ici en anglais

 

Un mouvement spontané?

Cette grève a été à l’initiative du groupe féministe « Redstocking », dont l’affiliation au mouvement féministe international est indéniable, rien que dans le nom choisi, comme le note Philippe de Wolff dans son article publié sur le site de l’Encyclopédie numérique de l’histoire en Europe:

« Le Women’s Lib américain trouve sa traduction en 1968 dans le Aktionsrat zur Befreiung der Frauen (Conseil d’action pour la libération des femmes) à Berlin, puis en 1970 dans le British Women’s Liberation Movement, l’Irish Women’s Liberation Movement (IRWLM), le Mouvement de libération des femmes (MLF) en France, le Movimento di Liberazione della Donna (MLD) en Italie, le Mouvement de libération des femmes à Genève et le Front de libération des femmes (FLF) à Bruxelles. Au milieu des années 1970, le Kinisi gia tin Apeleytherosi ton Gynaikon (KAG, Mouvement de libération des femmes) est créé en Grèce, suivi par le Frente de Liberación de la Mujer (Front de libération de la femme) à Madrid en 1976. Souvent, le terme de « mouvement de libération des femmes » recouvre une multitude de petits groupes éphémères et éparpillés dans différentes régions du pays. L’influence américaine est aussi manifeste dans la récupération du nom du groupe new-yorkais des Redstockings (Bas rouges) au Danemark (Rødstrømpe) et en Islande (Raudsokkahreyfingin, un groupe pionnier ouvert aux deux sexes fondé 1970). »

Sur le caractère spontané, il est seulement possible de noter que la campagne n’a duré qu’un jour et que la participation a été massive:

« La campagne n’a duré qu’une journée et toutes les participantes ont pris part à la grève pendant toute la journée. Quatre-vingt-dix pour cent des femmes islandaises ont participé, qu’elles aient un travail rémunéré ou qu’elles s’occupent des enfants et du foyer. » (Article de Max Rennebohm)

 

La pénurie de saucisses

Gudrun Jonsdottir, alors âgée de 21 ans témoigne dans les colonnes du Guardian en 2005 des effets alors directs de cette grève: les pères contraints d’acheter des crayons de couleur mais surtout de cuisiner, et certainement dans le désarroi, ils se ruent sur un plat populaire, la saucisse: « En conséquence, les saucisses, un repas populaire, étaient en rupture de stock dans de nombreux magasins ce jour-là ». Il est intéressant qu’une grève se transforme ainsi en évènement synonyme de fête, au moins pour les enfants. Ne serait-il pas intéressant de prendre en compte cette composante dans nos luttes, sans pour autant sombrer dans une mise en spectacle ou du happening publicitaire souvent initié dans les universités, c’est-à-dire dans des contexte de luttes interclassistes.

 

Une grève décennale

Tous les dix ans, le jour anniversaire de cette journée, les femmes arrêtent de travailler en cours de journée pour « montrer leurs postes importants et continuer la lutte pour l’égalité ». On le voit: cette grève n’a pas lieu tous les ans, alors même que la loi « garantissant l’égalité des droits pour les femmes et les hommes » « n’a guère provoqué de changement sur l’inégalité des salaires et les disparités en matière d’emploi », comme le note le chercheur Max Rennebohm.

Celle qui a lieu aujourd’hui se donne pour slogan « Kallarðu þetta jafnrétti », traduisez : « Vous appelez ça l’égalité ? ».

Toujours à la date du 24 octobre tous les 10 ans, les femmes se mettent en grève mais à partir d’une heure précise. « Celle à laquelle elles n’étaient symboliquement plus payées, en fonction de l’écart salarial avec les hommes. Mais une partie du pays résiste encore, s’alarme Tatjana Latinovic, directrice de l’organisation islandaise pour le droit des femmes. « Je pense que c’est parce que le patriarcat est tellement ancré. La société reste organisée de telle sorte qu’il est impossible pour nous d’atteindre l’égalité », appuie-t-elle.

La Première ministre Katrín Jakobsdóttir a prévu de se joindre au mouvement. ». Issu de l’article de RFI

Interclassisme dans la grève

Nous attendrons de voir le succès de cette grève, qui si elle a eu des retombées législatives et sociétales indéniables, pose la question de l’internationalisme au mouvement pour le droit des femmes et des personnes non-binaires. Mais cette grève pose aussi la question de la stratégie consistant à se mettre en grève sur une durée limitée, selon un temps distinct (l’heure de début diffère selon l’écart salarial constaté) et enfin, du bienfait et de la signification de la participation de toutes les femmes même celles du gouvernement: alors toutes alliées?