4300 travailleurs de l’automobile en grève à GM Canada

4 300 travailleurs de l’automobile de GM Canada participent aux piquets de grève, alors que la grève contre Detroit Three s’étend à l’ensemble de l’Amérique du Nord

Par Roger Ordan

 

4300 travailleurs de l’automobile de l’usine d’assemblage GM d’Oshawa, de l’usine de groupes motopropulseurs de Sainte-Catherine et du centre de distribution de pièces de Woodstock ont lancé un mouvement de grève. Ils ont débrayé peu après l’expiration de leur contrat – qui avait été prolongé par Unifor dans le cadre de sa stratégie de négociation « type » – à 23h59 lundi.

Ce débrayage marque la première grève des travailleurs canadiens de l’automobile dans le cadre d’une négociation régulière depuis 1996 et élargit la lutte des travailleurs de l’automobile contre les Trois de Detroit à l’ensemble de l’Amérique du Nord.

La grève a lieu avant tout grâce au militantisme de la base. Les travailleurs, dont le niveau de vie a été mis à mal par des décennies de concessions et trois années d’inflation galopante, sont déterminés à obtenir des constructeurs automobiles, qui engrangent les bénéfices à tour de bras, des augmentations significatives des salaires et des pensions. Ils se battent également pour la protection de l’emploi, alors que les Trois de Détroit cherchent à profiter de la transition vers la production de véhicules électriques pour supprimer des emplois en masse et intensifier l’exploitation des travailleurs.

Pour réussir, les travailleurs de GM en grève doivent prendre des mesures urgentes pour prendre le contrôle de la lutte en main en établissant des comités de grève composés de membres de la base. Ces comités devraient se battre pour étendre la grève à toutes les opérations de Detroit Three au Canada et unifier la lutte avec les 150 000 travailleurs de GM, Ford et Stellantis aux États-Unis qui sont sans contrat depuis le 15 septembre. Les travailleurs au sud de la frontière font pression pour une grève totale, mais la bureaucratie de l’UAW, dirigée par Shawn Fain, a autorisé l’action de moins d’un cinquième de la main-d’œuvre, dans le cadre de la stratégie bidon du syndicat « Stand Up Strike » (grève debout), garantissant ainsi que les constructeurs automobiles continuent d’engranger d’énormes profits.

 

Tout au long de l’actuel cycle de négociations, Lana Payne et l’ensemble de l’appareil d’Unifor ont cherché à maintenir les travailleurs canadiens de l’automobile séparés de leurs frères et sœurs de la classe américaine. Sous le slogan nationaliste  » tracer notre propre voie « , la direction du syndicat a perpétué le nationalisme canadien virulent qu’elle a utilisé au cours des quatre dernières décennies pour monter les travailleurs de l’automobile canadiens, américains et mexicains les uns contre les autres dans une course vers le bas en matière de salaires, de conditions de travail et d’avantages sociaux. La grève de GM Canada offre aux travailleurs de l’automobile l’occasion de briser cette conspiration et de développer une lutte unifiée à l’échelle de l’Amérique du Nord pour s’opposer aux plans globaux des patrons de l’automobile visant à restructurer l’industrie pour la production de véhicules électriques aux dépens des travailleurs.

En ce qui concerne les dirigeants d’Unifor, la grève n’a été déclenchée qu’à contrecœur et surtout dans le but de maintenir le contrôle sur des membres rétifs, irrités par les méthodes totalement antidémocratiques utilisées par la bureaucratie pour faire passer à toute vapeur un accord de capitulation chez Ford Canada. La présidente d’Unifor, Lana Payne, a eu l’audace de prétendre que la grève visait simplement à obtenir les mêmes conditions pourries que celles convenues avec Ford, en déclarant : « Cette grève est due au fait que General Motors refuse obstinément de se conformer à l’accord type. L’entreprise sait que nos membres ne laisseront jamais GM rompre notre accord type, ni aujourd’hui, ni jamais ». Elle a ajouté qu’il restait « beaucoup de chemin à parcourir » pour « parvenir à un accord de principe ».

L’accord conclu avec Ford prévoyait une « augmentation » salariale dérisoire de 15 % sur trois ans, ce qui équivaut à un gel effectif si l’on tient compte de l’inflation. Il prévoyait également des plans de rachat pour environ 10 % de la main-d’œuvre de Ford Canada, afin d’encourager les travailleurs les mieux payés à prendre leur retraite pour que le constructeur automobile puisse les remplacer par de nouvelles recrues moins bien rémunérées. Le système détesté des salaires à plusieurs niveaux a été perpétué et des dispositions ont été prises pour permettre à Ford de mener à bien sa transition vers la construction de véhicules électriques aux dépens des ouvriers de l’automobile. Ces dispositions comprenaient l’absence d’engagement ferme en matière d’emploi pour l’usine d’assemblage d’Oakville et la limitation des allocations de chômage complémentaires à 70 % des salaires normaux.

Le simulacre de processus de ratification utilisé par Unifor pour faire adopter l’accord Ford souligne son caractère pro-entreprise. Ils ont gardé le silence sur le contenu de l’accord pendant plus de trois jours, puis ont organisé une réunion de ratification en ligne où les discours étaient contrôlés par la bureaucratie et où les travailleurs disposaient de moins de 24 heures pour voter. Craignant que le contrat ne soit rejeté, l’appareil d’Unifor a rouvert les inscriptions et organisé l’envoi de courriels aux travailleurs temporaires à temps partiel pour les inciter à s’inscrire et à voter en faveur de l’accord, ce qu’ils ont été encouragés à faire avec la perspective d’une prime à la signature de 4 000 dollars. Pour couronner le tout, la bureaucratie a fait fi des propres règles du syndicat en déclarant le contrat ratifié malgré le fait qu’il ait été rejeté par les travailleurs des métiers spécialisés.

Compte tenu de ce bilan, la déclaration de Payne selon laquelle les grévistes se battent pour conserver le « modèle » constitue davantage une menace à l’encontre des travailleurs que des dirigeants de GM, avec lesquels Payne, Jason Gail, le président de la négociation principale de GM, et leurs collègues bureaucrates syndicaux entretiennent des relations amicales. En réalité, les travailleurs de base doivent « briser » le modèle pour obtenir leurs revendications. Celles-ci devraient inclure une augmentation de salaire de 30 % pour compenser des années de réductions salariales réelles, la fin des salaires à plusieurs niveaux, des emplois à temps plein pour tous et un salaire garanti pour tous les travailleurs pendant la transition de l’EV, payé par les bénéfices exceptionnels réalisés par GM grâce au sang et à la sueur des travailleurs de l’automobile au Canada, aux États-Unis, au Mexique et dans le reste du monde.

Il y a plusieurs problèmes spécifiques à GM Canada pour lesquels Unifor a prétendu se battre. La fermeture complète de l’usine d’assemblage d’Oshawa n’a été évitée en 2019 que grâce à l’acceptation par Unifor de concessions importantes, y compris le licenciement ou la mise à la retraite de presque tous les travailleurs à temps plein. La majorité des employés de GM Oshawa sont des travailleurs temporaires à temps partiel ayant relativement peu d’expérience. GM tarderait à offrir à plusieurs centaines de ces travailleurs une voie vers un emploi à temps plein afin de maintenir les coûts de main-d’œuvre à un niveau bas, même s’ils travaillent à temps plein. M. Payne a déclaré à ce sujet : « Nous considérons qu’il s’agit d’une question relevant de l’accord type et nous sommes convaincus qu’elle doit être abordée. Sur ce point, il y a un désaccord considérable entre nous et GM ».

Ces propos sont riches de sens de la part du dirigeant d’une organisation qui a accepté la création de salaires et d’avantages sociaux à deux ou plusieurs niveaux à la suite de la crise financière de 2008 et qui a par la suite accepté la création d’une importante main-d’œuvre TPT à l’emploi précaire. Le  » mauvais usage  » des TPT que la bureaucratie d’Unifor dénonce aujourd’hui était le produit inévitable d’accords antérieurs vantés par ce même appareil privilégié de fonctionnaires, qui ont plus en commun avec leurs  » partenaires  » de l’entreprise qu’avec les travailleurs de l’usine.

GM affirme que des « progrès très positifs » ont été réalisés dans les négociations au cours des derniers jours. En plus de défendre son droit d’exploiter les TPT en tant que travailleurs à temps plein, l’entreprise exige des concessions sur les régimes de retraite des travailleurs de GM par rapport à l’accord Unifor-Ford.

Les conditions sont favorables pour que les travailleurs en grève de GM Canada repoussent les concessions exigées par l’entreprise et soutenues par la bureaucratie d’Unifor. Plus de 8 200 travailleurs de l’automobile des usines Stellantis de Windsor et de Brampton sont toujours en lutte contractuelle et répondraient avec enthousiasme à un appel à se joindre à la grève de GM. Il en va de même pour les travailleurs de Ford, qui restent furieux contre la bureaucratie pour la ratification fictive de leur contrat.

Au sud de la frontière, environ 20 000 membres de l’UAW travaillant dans les trois usines de Detroit sont déjà en grève, et il existe un mouvement croissant qui reçoit une direction politique et organisationnelle de la part du réseau des comités de base des travailleurs de l’automobile (Autoworkers Rank-and-File Committee Network) en vue d’une grève totale.

À l’instar des relations étroites qu’Unifor entretient avec le gouvernement libéral d’Ottawa, Fain et l’UAW travaillent en étroite collaboration avec l’administration Biden pour étouffer la lutte des classes dans des conditions où une grève totale des travailleurs de l’automobile nord-américains servirait de puissant catalyseur à une offensive industrielle et politique plus large de la classe ouvrière contre l’austérité et la guerre.

Cela nécessite une rébellion des travailleurs de la base contre la bureaucratie syndicale, dont les principales préoccupations sont de conserver leurs liens corporatistes étendus avec l’État et les grandes entreprises, et d’étouffer l’opposition de la classe ouvrière à l’augmentation du coût de la vie et à la volonté de la classe dirigeante de faire payer aux travailleurs sa guerre prédatrice avec la Russie. Les travailleurs de Mack Trucks aux États-Unis ont montré la voie à suivre en créant un comité de base chargé de reprendre le contrôle de leur lutte contractuelle aux bureaucrates de l’UAW. Les travailleurs ont massivement rejeté un contrat plein de concessions soutenu par l’UAW comme un accord « historique » et sont maintenant en grève dans les usines de Pennsylvanie et de Floride.

La création de comités de grève de base par les travailleurs de GM Canada leur permettrait d’appeler directement à des grèves de solidarité avec les travailleurs de l’automobile et des pièces détachées de toute l’industrie, ainsi qu’avec d’autres catégories de travailleurs des secteurs de la fabrication, de la santé, de l’éducation et du secteur public confrontés à des attaques similaires contre leurs emplois et leurs conditions de travail. Il est essentiel qu’ils facilitent l’unification des luttes des travailleurs de l’automobile au-delà des frontières nationales par l’intermédiaire de l’Alliance internationale des travailleurs des comités de base.

L’IWA-RFC, qui comprend des comités de base dans plusieurs usines des Big Three aux États-Unis, se bat pour que les travailleurs canadiens, américains et mexicains de l’automobile mènent une lutte commune contre la volonté farouche des constructeurs automobiles d’augmenter les profits des entreprises, et pour obtenir des emplois décents et sûrs pour tous. Cela signifie qu’il faut lutter pour mettre fin à la subordination de l’industrie automobile à l’accumulation obscène de richesses par les entreprises et les investisseurs et la placer sous le contrôle démocratique des travailleurs afin qu’elle puisse servir les intérêts de la société.

Article paru sur le site WSWS.