Les travailleurs d’Airbus au Québec rejettent l’offre patronale et votent en faveur de la grève

Par Hugo Maltais

Sans contrat de travail depuis la fin de leur convention collective le 31 décembre 2023, les travailleurs de l’usine d’Airbus de Mirabel, située à une vingtaine de kilomètres de Montréal au Québec, se sont réunis en assemblée le 17 mars dernier. Ils ont voté massivement (99,6%) pour le rejet de la dernière offre patronale et avec une majorité presque aussi forte (98,9%) en faveur d’une grève générale. Plus de 82% des quelque 1.200 travailleurs ont pris part au vote.

Les assembleurs, mécaniciens, peintres, soudeurs, agents de qualité et autres techniciens sont représentés par la section locale 712 de l’Association internationale des machinistes et des travailleurs et des travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA). L’usine produit l’Airbus A220, anciennement la Série C de Bombardier, un avion de ligne de la catégorie des appareils de 100 à 150 sièges.

Airbus offrait une convention collective d’une durée de 3 ans contenant des hausses salariales totales de 10,3%. Le syndicat a qualifié l’offre de «carrément inacceptable» dans la mesure où les augmentations proposées n’auraient même pas permis aux travailleurs de compenser les pertes causées par l’inflation élevée des dernières années. L’AIMTA a aussi souligné que de nombreux travailleurs ont consenti des sacrifices importants du temps où la Série C de Bombardier rencontrait des difficultés de toutes sortes et que «le temps est venu d’être récompensé».

Airbus a répondu aux votes en affirmant que son offre était «rationnelle en ligne avec le contexte économique du programme [et du] contexte actuel de l’A220 qui n’a pas encore atteint son seuil de rentabilité».

En plus des salaires, les assurances, le régime de retraite, la sécurité d’emploi, les vacances et les horaires de travail sont les principaux enjeux de ce conflit.

Plutôt que de déclencher une grève suivant le vote d’autorisation, l’AIMTA a annoncé que «des moyens de pression à l’intérieur de l’usine, pour ralentir la production, entre autres» seraient mis en place dès le lendemain, 18 mars. Aucune date n’a été avancée pour le début d’une grève et le syndicat s’est contenté de dire qu’il s’agit d’une possibilité «si l’employeur ne démontre pas davantage d’ouverture aux revendications des travailleuses et des travailleurs».

Le comité de négociation de l’AIMTA et Airbus se sont rencontrés de nouveau le 18 mars, mais aucune information n’a filtré sur l’état des négociations, les demandes du syndicat ou les enjeux restants.

Airbus est l’un des plus gros constructeurs d’avions au monde. L’entreprise est issue de la fusion de sociétés françaises, allemandes, espagnoles et britanniques et œuvre dans les secteurs de l’aéronautique civile, de l’aéronautique spatiale et de l’aéronautique militaire. Elle compte près de 150.000 employés à travers le monde.

En 2023, Airbus a réalisé un chiffre d’affaires de 65.4 milliards d’euros (environ 96 milliards de dollars canadiens) et un bénéfice net de 3.8 milliards d’euros (environ 5.6 milliards de dollars canadiens). La division Avions commerciaux, qui comprend l’A220, a généré près des trois quarts des revenus et 78% du bénéfice de l’entreprise. Le PDG d’Airbus, le français Guillaume Faury en poste depuis 2019, a reçu une rémunération totale de plus de 5 millions d’euros l’année dernière (environ 7.3 millions de dollars canadiens).

Le conflit de travail survient alors qu’Airbus tente d’accélérer la cadence de production de l’A220 pour que le programme atteigne le «seuil de rentabilité». 900 appareils de ce type sont actuellement en commande et les délais de livraison aux compagnies aériennes s’étirent jusqu’en 2030. Dans ce contexte, Airbus a annoncé qu’elle voulait augmenter considérablement le nombre d’A220 produits dans ses usines de Mirabel et de Mobile, en Alabama. Ainsi, d’ici 2026, le nombre d’avions A220 fabriqués chaque mois devra plus que doubler, passant de 6 à 14. L’an dernier, l’usine de Mirabel, qui est entièrement affectée à l’A220, a livré un nombre record de 68 avions.

Les installations de Mirabel sont opérées par la société en commandite Airbus Canada Limited Partnership qui appartient à 75% à Airbus et à 25% au gouvernement du Québec via Investissement Québec. Avant la prise de contrôle par Airbus en 2017, le gouvernement du Québec avait investi environ 1,7 milliard de dollars dans la Série C de Bombardier, sans compter les autres types d’aide financière versée à Bombardier, l’une des entreprises les plus subventionnées de l’histoire du Québec. En 2022, Québec a réinvesti 380 millions de dollars dans l’A220 afin de reporter à 2030 le moment où Airbus rachètera sa participation. Le gouvernement du Québec a donc lui aussi intérêt à ce que l’A220 devienne rentable le plus rapidement possible afin de retirer des profits de son investissement avant le rachat.

Le présent conflit qui entoure la négociation d’une nouvelle convention collective est intimement lié aux objectifs d’Airbus et du gouvernement du Québec d’augmenter la production d’avions pour que l’A220 dégage des profits.

En plus de miner la santé et la sécurité des travailleurs d’Airbus à Mirabel, l’augmentation de la cadence dans une industrie de pointe comme celle de la fabrication d’avions civils représente un danger potentiel pour l’ensemble de la population. C’est la manifestation d’une caractéristique essentielle du système capitalisme: la recherche effrénée du profit qui pousse les entreprises à prioriser la rentabilité et la performance sur les marchés financiers aux dépens de la sécurité dans la conception et la fabrication.

Chez le principal compétiteur d’Airbus, l’avionneur et fabricant de matériel militaire Boeing, les mesures pour accélérer la production des avions et réduire les coûts de fabrication ont mené à une série d’incidents meurtriers. En 2018 et 2019, l’écrasement de deux Boeing 737 Max 8 à 5 mois d’intervalle a causé la mort de 346 passagers et membres d’équipage. Les deux catastrophes ont été causées par un système que Boeing savait être problématique. En janvier dernier, le détachement en plein vol d’une porte d’un avion Boeing d’Alaska Airlines a nécessité un atterrissage d’urgence à Portland. Plus tôt ce mois-ci, la brusque descente d’un Boeing 787-9 Dreamliner au cours d’un vol entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande a fait 50 blessés.

Alors qu’Airbus va tout faire pour imposer une augmentation de cadence et d’autres attaques sur les conditions de travail, l’AIMTA n’a aucune intention de s’y opposer. Son porte-parole à la table de négociation Éric Rancourt a déclaré que pour «arriver à bâtir 14 avions par mois, Airbus doit miser en priorité sur l’engagement des travailleurs et des travailleuses actuels». Autrement dit, le syndicat va aider l’entreprise à intensifier l’exploitation des travailleurs par une accélération de la production et le recours à la sous-traitance.

C’est le rôle que jouent les syndicats partout dans le monde. Sur la base de leur programme nationaliste et procapitaliste, ils collaborent avec le patronat et les gouvernements pour rentabiliser «leurs» entreprises nationales en concédant les salaires et les coûts de production les plus bas.

Dans les derniers mois, le pendant américain de l’AIMTA, l’International Association of Machinists (IAM) a liquidé des grèves importantes et imposé des contrats remplis de concessions aux 2.500 travailleurs de Boeing à Saint-Louis, aux travailleurs des lignes aériennes Southwest Airlines et Alaska Airlines, et chez le fabriquant de matériel militaire Eaton Corp. en Iowa.

Les travailleurs de l’usine d’Airbus de Mirabel ont démontré leur détermination à combattre l’assaut patronal par leur vote massif en faveur la grève. Mais ils ne pourront faire avancer leur lutte qu’en prenant celle-ci entre leurs propres mains.

Cela demande une rupture avec les appareils syndicaux pro-entreprise comme l’AIMTA et l’adoption d’une nouvelle perspective de lutte, basée sur la mobilisation industrielle et politique de toute la classe ouvrière – à travers la province et sur échelle nord-américaine – pour la défense des emplois, des salaires et des conditions de travail de tous.

Article paru sur le site du WSWS.