Depuis l’Allemagne, des manifestations d’agriculteurs éclatent en France et en Europe

Par Alex Lantier

Après les manifestations massives d’agriculteurs en Allemagne, qui ont vu des tracteurs bloquer des avenues à Berlin, des actions de grande ampleur similaires ont été menées par des agriculteurs en France et dans toute l’Europe. La colère explose face aux conséquences de la guerre menée par les États-Unis et l’OTAN contre la Russie en Ukraine et à la spéculation menée par les marchés financiers, les entreprises agroalimentaires et l’Union européenne (UE). Les revenus des agriculteurs se sont effondrés, alors même que les travailleurs réduisent leurs repas en raison de la flambée des prix des denrées alimentaires à l’échelle internationale.

Des manifestations massives d’agriculteurs ont eu lieu en France, en Pologne et en Roumanie et se préparent en Espagne. Les agriculteurs polonais et roumains ont bloqué les frontières de leurs pays avec l’Ukraine pour réclamer des subventions, alors que les importations de céréales ukrainiennes bon marché inondent les marchés locaux. En Espagne, les agriculteurs ont annoncé leur intention de bloquer le ministère de l’agriculture le mois prochain. Cette semaine, des manifestations similaires se sont répandues en France, mettant en place le plus grand nombre de barrages routiers depuis les manifestations des « gilets jaunes » de 2018-19.

Survenant au milieu d’une puissante grève des chemins de fer allemands et de grèves appelées contre la loi fasciste sur l’immigration en France, les protestations des agriculteurs européens reflètent l’opposition populaire croissante à l’OTAN et à l’UE à l’échelle internationale. La question décisive, comme pour les manifestations des « gilets jaunes », est de relier ce mouvement à une lutte plus large de la classe ouvrière contre le capitalisme. Seule la mobilisation de l’ensemble du pouvoir social de la classe ouvrière peut mettre fin aux guerres et à la spéculation financière qui étranglent les travailleurs ruraux.

Les manifestations en France ont commencé dans le sud-ouest lorsque les agriculteurs ont bloqué les routes pour protester contre les bas prix qu’on leur offrait pour leurs produits alors qu’ils devaient payer les augmentations obligatoires du prix du carburant diesel. C’est l’un des principaux problèmes qui ont provoqué les protestations des agriculteurs en Allemagne, dont le gouvernement a réduit les subventions aux carburants agricoles pour équilibrer son budget alors qu’il dépense des centaines de milliards d’euros pour le réarmement contre la Russie.

Les agriculteurs ont bloqué plusieurs autoroutes dans la région Occitanie, autour de Toulouse. Cette semaine, les manifestations se sont rapidement étendues à tout le sud-ouest, ainsi qu’au département de la Drôme au nord de Marseille, à Beauvais et à la région Picardie au nord de Paris, ainsi qu’à Brest dans la péninsule occidentale de la Bretagne.

Une agricultrice, Alexandra Sonac, a été tuée sur un barrage routier dans le département de l’Ariège, au sud de Toulouse, lorsqu’une voiture a franchi le barrage tôt mardi matin, renversant Alexandra Sonac, sa fille et son mari. La fille de Mme Sonac est décédée hier, mais son mari devrait survivre. Le conducteur de la voiture, identifié comme un ressortissant arménien faisant l’objet d’un arrêté d’expulsion par la police française, est accusé d’homicide involontaire.

Il est significatif que les manifestations d’agriculteurs s’intensifient en dehors du contrôle des associations d’agriculteurs qui discutent avec l’État capitaliste : la Fédération nationale des syndicats de propriétaires agricoles (FNSEA), la Coordination rurale et la Confédération paysanne. Ces organisations n’ont pas donné d’ordre pour le blocage initial de l’autoroute Toulouse-Bayonne qui a déclenché les protestations, ni pour les blocages des autoroutes A6 et A7, qui coupent le trafic entre les trois plus grandes villes de France, Paris, Lyon et Marseille.

Mardi et mercredi, les dirigeants des associations d’agriculteurs ont rencontré le nouveau Premier ministre français Gabriel Attal et ont promis qu’ils trouveraient des « centaines de millions d’euros » pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les agriculteurs.

La colère a cependant continué à monter et les manifestations des agriculteurs se sont étendues, recevant le soutien des chauffeurs de taxi qui ont organisé des opérations de ralentissement à Toulouse et à Bordeaux. Les agriculteurs qui manifestaient hier devant la préfecture de police d’Agen l’ont recouverte de fumier et ont incendié la façade du bâtiment.

Aujourd’hui (25/01), des manifestations sont attendues dans 85 des 100 départements français ainsi que dans des villes telles que Lyon, Bordeaux, Amiens, Orange, Bourges, Bayonne, Agen, Périgueux et Angoulême.

Il semblerait également que, comme en Allemagne, les agriculteurs pourraient bientôt bloquer la capitale nationale. Le président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, s’est exprimé hier sur France2 pour mettre en garde contre une « explosion sans précédent historique du monde agricole », s’en prenant à « la violence, car parfois elle n’est pas très loin », et a ajouté que le blocage de Paris n’était « pas une option » qu’il envisageait. Cependant, des convois de dizaines de tracteurs convergeraient vers Paris, en provenance de la Picardie au nord et de l’Essonne au sud.

Les manifestations des agriculteurs ont provoqué une crise profonde au sein du gouvernement français. Les sondages montrent que 85 % de la population française soutient les protestations des agriculteurs et que 56 % d’entre eux sont déjà favorables à une augmentation des subventions agricoles pour les aider. Depuis deux jours, M. Attal mène des discussions de crise avec les confédérations agricoles, mais il n’a fait aucune annonce quant aux politiques qu’il proposera.

Le ministre de l’intérieur rançais, Gérald Darmanin, a déclaré aux agriculteurs qu’il voulait « les soutenir politiquement tout en les encourageant à respecter la propriété publique » et a suggéré qu’il n’ordonnerait pas à la police anti-émeute de les attaquer, affirmant hypocritement : « Je n’envoie pas de CRS [police anti-émeute] contre des gens qui souffrent ». En réalité, le ministère de l’Intérieur a déjà envoyé des policiers anti-émeutes pour surveiller les agriculteurs dans le sud et préparera probablement des mesures de sécurité à grande échelle si les manifestations atteignent le centre de Paris, comme ce fut le cas lors du mouvement des « gilets jaunes ».

Le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a indiqué que le gouvernement adopterait une ligne dure à l’égard des agriculteurs, déclarant qu’il « ne prendrait pas la voie de la démagogie ou de la facilité » lors des discussions avec leurs représentants. Alors qu’il rencontrait M. Attal pour des entretiens, M. Fesneau a ajouté qu’il indiquerait sa politique « dans les prochains jours », déclarant au journal Le Monde : « Il faut avancer modestement, c’est mon style ».

Les hauts responsables des confédérations agricoles ont critiqué le gouvernement et lui ont demandé d’annoncer des mesures urgentes pour tenter de mettre fin au mouvement. La présidente de la Coordination rurale, Véronique Le Floch, a qualifié de « catastrophique » l’absence d’annonce concrète de la part du gouvernement, ajoutant : « Nous attendions au moins [du gouvernement] une annonce sur le financement du gazole non routier (GNR) et sur le financement de l’agriculture, qui est confrontée à des crises sanitaires sans précédent ».

Les agriculteurs doivent être prévenus : Ni les gouvernements capitalistes, ni les associations qui négocient avec eux n’ont leurs intérêts à cœur. Les agriculteurs représentent une force sociale importante. La France compte 390 000 exploitations de tailles diverses, de l’exploitation industrielle à la très petite exploitation, où les agriculteurs prennent leur retraite avec des pensions de misère d’à peine 400 euros par mois. Cependant, les agriculteurs sont confrontés à une classe dirigeante déterminée à transférer des centaines de milliards d’euros à la machine de guerre et au renflouement des banques pour les super-riches, au détriment de l’alimentation du peuple. Dans cette lutte, le meilleur allié des agriculteurs est la classe ouvrière.

À l’instar du gouvernement allemand, M. Macron s’est engagé à augmenter les dépenses militaires de plus de 100 milliards d’euros d’ici à 2030. La mesure qu’il a utilisée pour financer ce programme d’escalade des guerres de la France en Afrique et de la guerre de l’OTAN avec la Russie a été la réduction massivement impopulaire des retraites de l’année dernière. S’opposant ouvertement au peuple, Macron a envoyé la police anti-émeute pour attaquer les grèves et les manifestations de millions de travailleurs en France. En fin de compte, il s’est appuyé sur les bureaucraties syndicales pour étouffer le mouvement de protestation et faire adopter les réductions des retraites et les augmentations des dépenses militaires.

Les agriculteurs protestent aujourd’hui contre le conditionnement des subventions de la politique agricole commune (PAC) de l’UE à la mise en œuvre rapide du programme « De la ferme à la table » de l’UE. Ce programme prévoit de réduire considérablement la consommation de carburant diesel, l’utilisation d’engrais à base de nitrates et la taille des troupeaux des éleveurs afin de minimiser la production de gaz à effet de serre qui nuisent au climat. Cependant, les fonctionnaires de l’UE ont adopté ce plan sans accorder aux agriculteurs une aide suffisante et en méprisant manifestement l’approvisionnement alimentaire de la population.

 

Des études officielles sur le programme « de la ferme à la table » ont montré qu’il entraînerait un effondrement de la production et de la consommation alimentaires de l’UE et une crise profonde de l’agriculture européenne. Une étude réalisée en 2020 par le ministère américain du commerce a révélé que ce programme pourrait entraîner une baisse de 11 % de la production et une augmentation de 17 % des prix des denrées alimentaires. Une étude de l’université de Kiel réalisée en 2021 prévoit une baisse de 16 % de la production et une augmentation des prix de 12 % pour les céréales, de 36 % pour le lait et de 42 % pour la viande.

Il y a suffisamment d’argent pour que tout le monde puisse manger et travailler et pour trouver des moyens de produire des aliments sans nuire à l’environnement. Toutefois, cet argent doit être soustrait aux renflouements bancaires de plusieurs milliards d’euros et aux budgets militaires inconsidérés des fauteurs de guerre de l’UE. Cela implique d’unir les agriculteurs derrière une lutte de la classe ouvrière pour faire tomber l’UE et ses gouvernements membres capitalistes, prendre le pouvoir et construire les États socialistes unis d’Europe.

Traduction de l’article du WSWS.

Pour aller plus loin, nous publions quelques articles d’analyses de la question agraire dans le marxisme.