Gora borroka feminista ! Grève féministe au Pays basque le 30/11/23

 

Reconnaissance du travail de soins

« Dans cette grève, il s’agit de s’arrêter, de ne pas travailler, de revendiquer. Mais il s’agit aussi de voir comment nous en sommes arrivés là et ce que nous devrions faire ensuite. Pour ces raisons, nous appelons à une grève générale contre le système capitaliste, patriarcal, colonial et raciste ». C’est ainsi que commence un article d’El Salto sur la grève générale féministe appelée pour le 30 novembre 2023 et dont l’enjeu est le soin dans la société.

 

Ainsi, le 30 novembre, le mouvement féministe du Pays basque appelle à une grève générale féministe, une journée de revendications pour un système public de soins, soutenue par les syndicats basques et relayée par des mouvements sociaux comme le mouvement des retraités.

Les hommes sont également appelés à participer à la grève générale féministe du 30 novembre 2023 au Pays basque. Ils doivent assumer plus de responsabilités à l’avenir et participer davantage à toutes sortes d’activités du soin. Le droit aux soins – indépendamment du sexe, de la classe sociale et de l’origine – doit s’appliquer à toutes et tous. Jusqu’à présent, le système de soins met en évidence les privilèges de celles et ceux qui ne s’occupent pas des soins, ainsi que les avantages de celles et ceux qui peuvent payer n’importe quel prix pour des soins dans le secteur privé.

 

Quel est le but de cette grève ?

Cette grève porte sur les soins, et a pour objectif de mettre le sujet dans la rue, de placer nos vies au centre. La grève du 30 novembre 2023 vise à pointer du doigt ceux qui sont responsables de la réduction et de la privatisation de nos services publics, tout en essayant de s’approprier notre discours. Les partis au pouvoir du PNV et du PSE-EE, sont responsables, ils font des soins un business en vendant des services publics à des entreprises privées afin de réaliser des millions de bénéfices. C’est leur conception des soins, c’est leur priorité, c’est l’oasis basque. (1)

[…]

 

La grève concerne les employées de maison, dont 80% sont des femmes (selon les organisations concernées) : 96,88% des cas de soins pris en charge par l’association des employées de maison de Biscaye ont été traités par des femmes. La grève concerne les employées de maison internes qui, selon des collectifs comme « Trabajadoras No Domesticadas » (Travailleuses non domestiquées), sont composées de 93% à 99% de femmes immigrées. Des femmes qui travaillent dans une exploitation absolue, sans pauses, avec des salaires indignes. Des femmes qui sont touchées par une loi sur les étrangers qui crée des citoyens de première et de deuxième classe.

L’enjeu de cette grève est la différence de salaire et de pension entre les femmes et les hommes. Les chiffres montrent que 47% des femmes retraitées touchent une pension inférieure à 1000 euros, 66,7% des retraité.es qui touchent moins que le salaire minimum sont des femmes. Le système de pension actuel reflète le fossé entre les sexes. Aucune mesure n’y est prévue pour régler cette dette patriarcale historique envers les femmes, on n’y trouve même pas une déclaration d’intention.

Cette grève te concerne, collègue, tu n’y arrives plus, tu es débordée, tu passes ta vie à courir d’un endroit à l’autre sans avoir le temps de te reposer. Car on te rend responsable de tout. Dans cette grève, il s’agit de s’arrêter, de ne pas travailler, d’élaborer des revendications. Mais il s’agit aussi de voir comment nous en sommes arrivés là et ce que nous devrions faire ensuite. Pour ces raisons, nous appelons à une grève générale contre le système capitaliste, patriarcal, colonial et raciste.

La proposition de grève n’est pas une décision prise à la hâte, l’idée de « quelques féministes » en fin de soirée, comme le gouvernement basque veut nous le faire croire. Cette proposition s’inscrit dans un processus initié par la plateforme « Denon Bizitzak Erdigunean » (La vie de toustes au centre). En effet, au début de la pandémie, un appel lancé via les réseaux sociaux a réuni des dizaines de femmes féministes pour réfléchir aux soins et à l’urgente nécessité de les mettre à l’ordre du jour politique. Il est important de se rappeler que les soins étaient d’une importance énorme dans cette situation et que les réseaux communautaires (réseaux de soins, réseaux de voisinage, caisses de résistance) ont démontré leur excellente capacité d’organisation, pourtant totalement ignorée par les institutions.

Depuis lors et jusqu’à aujourd’hui, les femmes et les organisations de la plate-forme « Denon Bizitzak Erdigunean » ont réalisé un énorme travail. Des rapports ont été rédigés, des conférences ont eu lieu, des réunions ont été organisées, différentes propositions ont été discutées. La grève a pris de plus en plus d’ampleur, jusqu’à devenir un appel à une grève générale féministe pour exiger un système public de soins.

C’est dans ce contexte que la grève doit être placée. Elle doit reprendre le discours féministe en général, ainsi que la demande de responsabilisation des institutions et du gouvernement basque en matière de soins. Comme je l’ai expliqué au début, il faut aller à l’encontre de la situation actuelle : contre l’érosion et la commercialisation du droit aux soins par le capital, par les fonds vautours et les sociétés vampires, en bref, par la marchandisation des soins dans l’intérêt du profit des élites.

Nous demandons un système de soins public, car les soins sont la base sur laquelle tous les êtres humains peuvent construire une vie digne. Nous le faisons à une époque où les gouvernements ont récupéré nos termes et intègrent quotidiennement le terme « soins » et le concept de « vie au centre » dans chaque discours et programme électoral.

Il est important de se souvenir: l’appel à la grève générale féministe n’aurait jamais été possible sans les grèves féministes de 2018 et 2019, une étape fondamentale dans l’histoire du féminisme international. Verónica Gago fournit une analyse importante des grèves dans le livre « La Potencia Feminista o el deseo de cambiarlo todo » (Le pouvoir féministe ou le désir de tout changer). L’auteure met en évidence cinq caractéristiques des grèves féministes qui sont utiles dans son analyse et qui nous permettent de les situer dans notre propre contexte.

1) L’histoire du féminisme qui mène aux grèves ne se fait pas en un jour, nous avons une longue histoire. Nous venons d’une résistance féministe de plusieurs années qui a nourri les braises, dirigée contre un système patriarcal qui ne nous tolère qu’à contrecœur.

2) Le pouvoir féministe, la base politique du féminisme, est immense parce qu’il se nourrit de tous les mouvements sociaux. Les féministes luttent depuis des siècles dans différents domaines. Au Pays basque, historiquement, nous avons orienté notre militantisme et notre participation politique de manière stratégique. Ce n’était pas une question de hasard ou de préférences personnelles ; les femmes qui ont créé les premiers secrétariats féminins sont aujourd’hui des secrétaires syndicales féministes, des femmes contre la guerre, des lesbiennes féministes organisées, des employées de maison et d’autres.

3) Un mouvement de masse radical, l’occupation des rues, inconnue dans les temps anciens, avec des discours anticapitalistes, antiracistes, contre la violence.

4) L’internationalisme, les propositions de grèves féministes viennent de l’hémisphère Sud, du féminisme populaire, elles traitent en profondeur des questions essentielles qui concernent les personnes attaquées par le patriarcat.

5) La capacité de se mettre en réseau, de penser globalement et d’agir localement, avec des exemples comme « Un violador en tu camino » (Un violeur sur ton chemin) de Las Tesis.

 

Nous ne voulons pas oublier : cette grève n’aurait pas été possible sans le travail des syndicats qui organisent des grèves dans des secteurs féminisés comme le commerce, les foyers, les aides à domicile, les cantines, le nettoyage.

Ce rappel est fondamental pour démentir l’affirmation des démocrates chrétiens basques selon laquelle il s’agirait d’une idée de quelques féministes (les méchantes féministes) et aussi pour mettre en avant nos succès. Nous avons maintenu la flamme de la lutte dans des moments difficiles et avons mené de grandes mobilisations dans un passé récent. Au Pays basque, la cinquième conférence féministe de 2019 a rassemblé plus de 3 000 femmes. Comme dans le reste de l’Espagne, les mobilisations contre la dépénalisation de l’avortement et contre la condamnation des « violeurs de Sanfermines » (manada – meute) ont été de grands succès pour le féminisme. Nik sinesten dizut » (je te crois) ou « la peur va changer de camp ». Cet appel est avant tout un indicateur de la puissance du féminisme basque. La puissance du féminisme a atteint un niveau de conscience qui brise l’ordre social et nous permet de rêver à de véritables changements, des changements dans la manière dont nous concevons nos droits, que le féminisme défend depuis des siècles. Cette grève est un cri de résistance et de confrontation.

Nous, les féministes, partons du principe qu’une grève générale féministe pour un système public de soins est une occasion formidable de parler de tout ce que les soins signifient pour la vie et pour les gens. Ce que les soins impliquent, englobent et nécessitent pour exposer ceux qui empêchent toujours nos idées de devenir réalité, pour nommer ceux qui ne fournissent jamais les moyens d’atteindre le bien-être de la majorité de la société, tout simplement parce que ce n’est pas à leur ordre du jour. Car une partie de leur programme est exactement le contraire, à savoir la privatisation et la commercialisation du secteur public.

Il est temps de changer de modèle de soins. Actuellement, les soins (en tant que travail formel et socialement nécessaire) ne sont pas reconnus. Il est mal réparti, au détriment des femmes. Les emplois de soins offrent aux soignant.es des conditions de travail précaires, et les soignant.es fournissent par conséquent un travail de soins de mauvaise qualité. Il est nécessaire de répartir ce travail sur davantage d’épaules. Cela signifie que les soins doivent être publics et accessibles à toustes. C’est la seule façon de garantir que l’accès aux soins soit généralisé et équitable, et pas seulement pour celles et ceux qui peuvent payer.

Nous faisons grève pour exiger que les soins soient respectés et reconnus, qu’ils soient pris au sérieux.

Nous faisons grève pour exiger la garantie de soins décents sur l’ensemble du territoire, pour réclamer haut et fort un système de soins public, pour exiger que les gouvernants cessent de tout privatiser.

 

Nous avons fait grève pour exiger l’abrogation de la loi sur les étrangers, pour demander des améliorations des conditions de travail des soignants. Nous avons lancé un appel aux hommes : venez avec nous dans la rue, car les soins – c’est aussi votre affaire ! Nous descendons dans la rue pour les pensions, pour la réduction du temps de travail, pour lutter pour l’extension des arrêts de travail pour soins, et pour mettre fin à la division sexiste et raciste du travail.

Nous faisons grève pour les femmes comme ma grand-mère, pour ma mère, pour toi, pour moi, camarade. Pour celles qui viendront. Gora borroka feminista ! Vive la lutte féministe !

 

 

(1) « A la huelga feminista, compañera » (Auf zum feministischen Kampf, Genossin), Internet-Magazin El Salto Diario, Auteur : Alba García Martín, 2023-10-31 (LINK)

 

Article traduit à partir de baskultur.info.