Le syndicat UAW tient les travailleurs de l’automobile dans l’ignorance tandis qu’il prépare une entente de capitulation
par Jerry White
La colère monte parmi les travailleurs de l’automobile parce que la bureaucratie de l’United Auto Workers (UAW) les tient dans l’ignorance quant au contenu de ses prétendues «négociations» avec les constructeurs. De semaine en semaine, l’UAW n’informe les travailleurs qu’à la dernière minute d’un débrayage à leur usine ou de la continuation du travail sans convention collective.
Trois semaines après l’expiration des conventions collectives du 15 septembre pour 146.000 travailleurs de General Motors, Ford et Stellantis, seuls 25.000 membres de l’UAW – soit 17 pour cent des effectifs – ont été appelés à débrayer. Ceux qui sont encore en poste travaillent dans le cadre de conventions collectives expirées et sont soumis à des cadences accélérées, au harcèlement de la direction, à des horaires et à des revenus hebdomadaires imprévisibles.
Quelle que soit l’annonce faite par le président de l’UAW, Fain, lors de son événement Facebook de vendredi après-midi, elle aura pour but de continuer à isoler les travailleurs et d’affaiblir leur résistance à une capitulation que la bureaucratie de l’UAW a négociée avec le patronat et le gouvernement Biden il y a longtemps.
Jeudi, le Wall Street Journal a publié un article révélant à nouveau l’impact négligeable de la politique de la «grève debout» de l’UAW. Le Journal écrit: «Après trois semaines, la grève de l’United Auto Workers contre les constructeurs automobiles de Detroit présente presque toutes les caractéristiques d’une bataille syndicale déterminée: débrayages euphoriques des travailleurs, plans d’urgence précipités, couverture médiatique mur-à-mur et rhétorique enflammée. La seule chose qui manque, du moins jusqu’à présent, c’est une véritable souffrance financière, de part et d’autre.»
Contrairement à la grève de 2019 menée par 45.000 travailleurs de GM, qui avait entraîné l’arrêt des activités de l’entreprise et lui avait coûté 1 milliard de dollars au cours des deux premières semaines, GM n’a perdu que 200 millions de dollars au troisième trimestre en raison de la «grève» actuelle, soit moins d’un demi-pour cent de son chiffre d’affaires.
Les cinq usines de General Motors, Ford et Stellantis visées par l’UAW ne représentent qu’environ 16 pour cent des véhicules produits en Amérique du Nord, note le Journal, qui ajoute que «les usines où sont fabriqués les camionnettes de grande taille et les grands VUS de ces entreprises – leurs véhicules les plus rentables – continuent de fonctionner».
Colin Langan, analyste chez Wells Fargo, a déclaré au Journal: «Cela fait les gros titres. Financièrement toutefois, cela n’a pas beaucoup d’impact».
Il est vrai que la grève n’a pas fait de mal aux constructeurs ni à la bureaucratie de l’UAW d’ailleurs, qui protège son fonds de grève de 825 millions de dollars, lequel finance depuis longtemps les gros salaires et le style de vie aisé de l’appareil de l’UAW.
Mais la stratégie de la «grève debout» de Fain nuit certainement aux travailleurs. Ford a annoncé cette semaine 400 licenciements dans les usines Livonia Transmission et Sterling Axle près de Detroit, ce qui porte à 1330 le nombre total de licenciements au cours des deux dernières semaines. GM a licencié 2.175 travailleurs dans des usines de composants qui approvisionnent les usines en grève ou qui utilisent des pièces provenant de ces usines.
En outre, environ 30 pour cent des fournisseurs indépendants de pièces détachées ont licencié des travailleurs en raison de la grève, et ce chiffre devrait augmenter considérablement d’ici la mi-octobre, selon une enquête réalisée par Automotive News. Il s’agit notamment de plus de 1.110 travailleurs des usines d’essieux Dana de Toledo (Ohio) et de Fort Wayne (Indiana) et de 300 travailleurs de US Steel à Granite City (Illinois).
Parmi les travailleurs licenciés du secteur des pièces détachées figurent également près de 1.000 membres de l’UAW chez Lear Seating à Hammond, dans l’Indiana. L’UAW a refusé d’appeler à la grève pendant des semaines dans cette usine, bien que les travailleurs aient rejeté trois contrats négociés par le syndicat et voté à 94 pour cent en faveur d’une grève. L’usine a finalement été mise à l’arrêt lorsque l’UAW a appelé à la grève dans l’usine d’assemblage Ford voisine, où l’entreprise a accumulé des stocks. Pour ne rien arranger, l’UAW refuse d’accorder des indemnités de grève aux travailleurs de Lear, ce qui les oblige à toucher le chômage dans l’État de l’Indiana.
«On ne nous dit pas tout»
Dans les usines des trois grands constructeurs qui fonctionnent encore, les travailleurs temporaires voient leurs journées réduites à deux ou trois fois par semaine, ces travailleurs risquant l’expulsion et les coupures d’électricité et de gaz. Il s’agit d’un effort transparent de la part des entreprises et de l’UAW pour utiliser le désespoir économique afin d’amener ces travailleurs à voter pour un accord de capitulation en raison d’une «prime à la signature» de plusieurs milliers de dollars.
«Je suis scandalisé que l’entreprise traite intentionnellement ses employés de cette manière», a déclaré au WSWS un travailleur temporaire à temps partiel de Stellantis à l’usine d’assemblage de camions de Warren. «Quel que soit leur statut, complémentaire ou à temps plein, nous sommes tous des employés. Cela montre au monde entier le caractère de cette entreprise. Quant à l’UAW, je pense qu’il est payé par l’entreprise et qu’il n’est pas solidaire avec nous, comme il voudrait nous le faire croire».
«On ne nous dit pas tout», a déclaré au WSWS un ouvrier du complexe d’assemblage Stellantis de Detroit. «On ne fait pas grève dans les usines qui rapportent vraiment de l’argent. On fait grève dans celles qui ne leur coûtent que quelques millions et qui leur permettent de s’en tirer.»
«Nous avons tous des factures à payer. Ils ne nous paient rien alors que leurs poches sont de plus en plus pleines. Nous devons cibler les usines qui construisent ces camions et celles qui fabriquent tous ces composants. Je vous garantis qu’ils changeront d’avis et signeront immédiatement sur la ligne pointillée. Mais tout le monde doit se serrer les coudes et faire ce qu’il faut. C’est ce qu’un syndicat est censé faire, mais il ne le fait pas».
«D’après ce qu’on entend, chaque semaine, il [Fain] se présente et veut parler, mais il cible régulièrement les usines les moins rentables, et dans les grandes usines qui vont vraiment leur donner du fil à retordre et les faire changer d’avis, il ne fait rien».
«Pour moi, soit vous êtes avec eux, soit vous êtes avec nous, parce qu’on ne peut pas être pour les deux. On ne peut pas être à cheval sur les deux. Si nous savons que vous n’êtes pas avec nous, nous saurons quelle est la prochaine étape. Je suis pour une grève totale».
Les efforts déployés par l’administration Fain pour forcer 3.500 travailleurs de Mack Trucks à accepter un accord de capitulation doivent être considérés comme un avertissement pour tous les travailleurs. L’UAW a annoncé un accord dix minutes avant que les travailleurs de Pennsylvanie, du Maryland et de Floride ne soient prêts à débrayer le 2 octobre, sans donner le moindre détail. Selon les «grandes lignes» de l’accord, celui-ci prévoit une augmentation annuelle moyenne de 4 pour cent, le maintien des paliers salariaux et l’ajout d’une demi-heure de travail supplémentaire, à l’heure normale, pour les travailleurs de l’usine de Macungie, en Pennsylvanie, afin d’augmenter la production de 1.600 camions par an.
Cette mesure a suscité une large opposition, menée par le Comité de base des travailleurs de Mack, et les travailleurs se préparent à rejeter l’accord de capitulation lors des réunions de ratification qui se tiendront dimanche.
Le mouvement de la classe ouvrière s’amplifie, avec la grève des 75.000 travailleurs de la santé de Kaiser Permanente, des 1.100 travailleurs de Michigan Blue Cross, le vote de grève de 99 pour cent des travailleurs des casinos de Detroit et d’autres luttes.
Les travailleurs de l’automobile étendent le réseau des comités de base afin de lutter pour s’emparer du pouvoir et de la prise de décision en le retirant des mains de l’appareil de l’UAW. Ces comités s’opposent à la censure de l’information par la bureaucratie de l’UAW et se battent pour que les travailleurs exigent la convocation d’une assemblée générale d’urgence dans chaque section syndicale afin de voter une grève totale pour obtenir ce que les travailleurs veulent.
Article paru en anglais le 5 octobre 2023 sur le site du WSWS.