Gräfenhausen: bilan provisoire d’une grève au succès mitigé

Le prétendu succès de la grève sauvage de Gräfenhausen a un goût amer – comment les syndicats auraient-ils pu/dû mieux soutenir la grève ?

 

Dumping salarial dans le secteur de la logistique : comment les syndicats peuvent-ils mieux soutenir les grèves ?

« Les grèves sauvages des chauffeurs de camion à Gräfenhausen ont été couronnées de succès. Mais elles n’ont rien changé au dumping salarial et au manque de transparence des entreprises de transport. Les syndicats pourraient soutenir plus durablement les futurs conflits du travail (…) Il ne faut toutefois pas être devin pour prédire qu’une grève similaire peut se reproduire à tout moment. Les chauffeurs sont employés dans le secteur de la logistique, le plus grand secteur économique européen après l’industrie et le commerce. Les relations de travail sont marquées par la sous-traitance et le dumping salarial, dont profitent également les entreprises allemandes. Même la nouvelle loi sur la chaîne d’approvisionnement ne s’applique pas ici.
Par le passé, les grèves sauvages ont souvent été ignorées par les syndicats du DGB, parfois même combattues. Ce n’était pas le cas à Gräfenhausen. (…) Mais la question importante, notamment pour les syndicats, est maintenant : Comment soutenir ceux qui sont livrés sans protection à la pression sur les salaires ? Les grèves sauvages créent des situations confuses et spontanées. Il s’agit alors d’organiser un soutien dans des conditions qui changent rapidement. L’affiliation syndicale à long terme devrait également être compliquée en raison des conditions d’emploi – mais pourquoi ne pas prévoir une caisse de grève solidaire pour de tels cas ?

D’où venait l’argent qui a mis fin à la grève ?

Les caisses de grève sont les secrets bien gardés des syndicats, qui rendent possible la poursuite d’une grève. Peut-être que l’argent de la grève, qui aurait pu être envoyé à la maison par les chauffeurs grévistes spontanés, aurait pu faire de la grève de Gräfenhausen un véritable succès. Car celle-ci a un goût amer : ce n’est pas le transporteur Mazur qui a payé les salaires impayés des chauffeurs. (…) N’aurait-il pas été préférable d’utiliser de l’argent pour que la grève se poursuive durablement avec succès plutôt que de contribuer à la pacification à court terme avec des sommes provenant de canaux peu clairs ? Le rapport de force entre les chauffeurs et leur transporteur n’a en tout cas guère changé de cette manière ». Extraits issus de l’article de Nina Scholz du 13.10.2023 dans Freitag online

 

Où est passée notre banderole ?

« La deuxième grève à Gräfenhausen était très différente de la première. Lors de la première, il y avait un enthousiasme à « participer » à un conflit du travail chargé d’histoire, avec des dons de nourriture et une présence. Mazur a même réussi à enthousiasmer la presse mondiale avec son idée saugrenue de se présenter avec le fourgon blindé et la troupe de voyous de Rutkowski. On voyait bien qui était bon et qui était mauvais, et tout le monde voulait contribuer à ce que les bons gagnent. (…) Les conducteurs d’une demi-douzaine de pays ont cessé de jouer le jeu de l’exploitation brutale sur les routes européennes et ont refusé de travailler. Ils ont brisé les règles du jeu et ont fourni une approche pour lutter contre l’exploitation extrême qui touche des milliers de conducteurs. Ce sont de véritables héros de la classe ouvrière. Ils ne se sont pas contentés de s’arrêter, ils ont confisqué les véhicules et leurs chargements et secouent le système de transport organisé de manière mafieuse.

Ils n’étaient pas considérés par les syndicats comme l’avant-garde d’une lutte pour de meilleures conditions de travail, mais comme de pauvres gens venus de pays étrangers et privés de leur salaire. On voulait s’occuper, à la manière allemande, que les plus pauvres obtiennent leur dû et on parlait aux autorités, aux entrepreneurs, aux politiciens et aux médias. Les chauffeurs n’étaient plus des personnes qui agissent ou même qui luttent, leur rôle était d’être dans le besoin. (…) L’essence de la grève sauvage est que des travailleurs de différentes nationalités ont entamé ensemble une lutte qui a été menée avec le soutien d’autres travailleurs. Les grévistes ont bénéficié de la solidarité pratique de camionneurs de différentes nationalités et les dons de nourriture provenaient en grande partie de gens ordinaires de la région. Ce n’est pas de la charité, c’est de la lutte des classes ! Nous voulions que cela soit aussi clair et avons apporté aux grévistes une banderole avec les mots : INTERNATIONAL WORKERS SOLIDARITY ! Ils ont tout de suite été séduits par la banderole. (…) Mais avant que l’eurodéputée socialiste Gaby Bischoff n’arrive au camp de grève, la banderole a été décrochée. Nous aimerions entendre une explication de la part des responsables ! Avez-vous honte des fondements du mouvement ouvrier ? Vous ne voulez rien savoir des travailleurs et de la solidarité internationale ? Il semblerait presque que oui… » Bilan de Kuddel du 11 octobre 2023 dans chefduzen.de

« Une histoire sans fin »

Mazur a vendu l’une de ses entreprises de transport. Il avait sans doute besoin de liquidités, mais il n’envisage pas de s’arrêter. Des échos en provenance de Pologne indiquent qu’il tente désormais sa chance dans un autre domaine : les camionnettes dans la catégorie des Sprinters.
C’est précisément ce secteur qui est considéré comme encore plus infâme que le transport par camion. Les camionnettes évoluent en grande partie sous le radar. Il n’y a pas d’obligation de tachygraphe. Le non-respect des temps de conduite et de repos est normal. De nombreux chauffeurs passent la nuit dans les véhicules. Ils n’ont toutefois pas le luxe d’un lit dans la cabine. Ils doivent placer un matelas entre les marchandises.
En fin de compte, cela signifie que Mazur se voit tellement bien connecté à la politique et à la justice qu’il n’y a aucune raison pour lui d’arrêter.

Gräfenhausen 3.0 ?

Mais en Allemagne aussi, la situation ne semble pas être une solution, mais un conflit permanent. L’association professionnelle BLV parle d’un « compromis boiteux » (…) Du côté des chauffeurs, on entend dire qu’ils ne sont pas traités de la même manière en matière de rémunération. Il manquerait 2500€ à un chauffeur, il n’a donc reçu que 73% ». Contribution de Kuddel du 6.10.2023 dans chefduzen.de

« Le paiement des chauffeurs semble fonctionner. »

Le mécontentement persiste face au secret entourant la situation juridique des chauffeurs. Des informations contradictoires circulent sur l’abandon de toutes les procédures juridiques à l’encontre des grévistes. Cela pourrait être clarifié par la présentation de l’accord écrit correspondant avec Mazur, mais sur cette question importante, certaines déclarations n’ont pas été étayées. Ce différend se poursuit. On reproche aux camionneurs de s’être défendus. Des listes noires semblent avoir été établies. Un chauffeur ouzbek ne trouve pas de nouvel emploi malgré la pénurie de chauffeurs ». Article de Kuddel du 5.10.2023 dans chefduzen.de

 

Les chauffeurs ont reçu de l’argent de source inconnue

« Le groupe d’entreprises en grève pendant deux mois et demi par des chauffeurs de camion à Gräfenhausen n’a apparemment pas contribué financièrement à la résolution du conflit. Après de longues discussions, les chauffeurs ont compris que les entreprises de transport polonaises Agmaz et Lukmaz ne paieraient pas, a indiqué mardi la directrice financière d’Agmaz, Magdalena Kurek, interrogée à ce sujet. Elle a ainsi confirmé un rapport de l’agence de presse dpa. Les quelque 70 chauffeurs avaient mis fin à la grève samedi dernier. Auparavant, ils avaient reçu de l’argent, selon leur négociateur, le syndicaliste néerlandais Edwin Atema. Le montant et la provenance n’étaient toutefois pas clairs. Interrogé à ce sujet ce week-end, Atema s’est contenté de dire : « Tout l’argent ne vient pas de Pologne ». (…) Selon Atema, les entreprises du groupe Mazur se sont engagées par écrit à retirer les plaintes pénales contre les chauffeurs et à renoncer à toute autre action en justice. A titre de preuve, il a envoyé au F.A.Z. une photo d’une page Din-A-4 avec un court texte en trois langues – allemand, polonais et russe. La version allemande indique : « Par cette lettre, Agmaz/Lukmaz confirme qu’elle retire toutes les accusations portées contre M. … et qu’elle ne formulera pas de nouvelles accusations à l’avenir concernant la grève de Gräfenhausen, en Allemagne. Agmaz/Lukmaz informera les autorités compétentes de cette lettre ». Le document photographié porte le cachet d’Agmaz ainsi qu’une signature, le nom du signataire n’est pas clairement identifiable. Avant de rendre chaque camion, des représentants de l’entreprise ont signé un tel document pour le chauffeur concerné, a déclaré Atema. La même procédure avait été suivie peu de temps auparavant avec une vingtaine de camions de l’entreprise Imperia, qui appartenait également au groupe Mazur au début de la grève, mais qui a changé de propriétaire entre-temps. La directrice financière d’Agmaz, Mme Kurek, a confirmé mardi que les camions avaient été récupérés. Pour le reste, il n’y a « plus de relation avec les chauffeurs protestataires ». Il ne peut être question d’un « accord » avec Agmaz ou Lukmaz… ». Article de Barbara Schäder du 03.10.2023 dans le FAZ en ligne

 

Synthèse issue de labournet.de